-
La matinée avec les garçons
9h30 : les premiers arrivés aident à ouvrir l'école et prennent part aux corvées sans attendre de recevoir la moindre instruction. Les enfants sortent en premier une étagère pour y déposer leurs souliers, le plus souvent des tongs usagées. Dans le même temps, d'autres passent déjà un balai à l'intérieur. En fait de balai, il s'agit davantage d'un ensemble de tiges souples d'une soixantaine de centimètres de long regroupées à leur sommet. Aussi le passe-t-on courbé en deux. Le premier nettoyage fini, les nattes sont déployées. Une natte, c'est une salle de classe. Et comme il n'y en a pas assez, il y a aussi quelques tapis de gym qui sont arrivés là je ne sais comment. Bientôt, d'autres jeunes reviennent avec de l'eau. Ils rajoutent un peu de produits d'entretien et les voilà partis pour astiquer le sol non encore recouvert. Ce rituel est bien rodé et il n'y a aucune perte de temps. Personne ne cherche à s'y soustraire : c'est plutôt l'inverse qui se produit avec trop de volontaires !
Pendant tout ce temps et pendant quelques minutes encore, les élèves continuent d'arriver par petits groupes avec toujours le même rituel : ils commencent par se déchausser dehors, se mettent sur le seuil de la porte puis demandent à l'adulte le plus proche s'ils peuvent entrer, enfin ils saluent chaque professeur d'un "bonjour Madame" ou d'un "bonjour Monsieur". Sortant de ce formalisme, certains s'enquièrent même de comment nous allons.
Ce centre reçoit énormément d'élèves mais ses dimensions modestes ne lui permettent pas d'accueillir tout le monde en même temps. La surface au sol doit être de 20m² environ. En bas, il y a deux pièces : la plus grande à l'entrée où se déroulent les cours et une plus petite au fond avec les ordinateurs. Dans la pièce de devant, un pilier occupe le centre. Les murs sont couverts de plusieurs panneaux éducatifs (nombres, légumes, planètes, transports, animaux, règles de politesse, ...) Côté porte d'entrée, il y a le bureau de Pushpa, le seul de l'école. En effet, le parti-pris de Project WHY est que chaque centime aille aux enfants et à leur éducation. Aussi n'y a-t-il pas de mobilier. Je salue la démarche car peu de structures réfléchissent autant pour réduire au minimum leurs coûts de fonctionnement. Sur les autres côtés, sont étalées les nattes pour dispenser les cours. Il y a l'équivalent de 4 classes dans cette pièce. Dans la seconde pièce se trouvent un peu plus d'une demi-douzaine d'ordinateurs, quelques meubles pour abriter le matériel pédagogique des professeurs, une bibliothèque avec des ouvrages scolaires et éducatifs dans de multiples langues, un escalier et enfin des toilettes sèches (une pour tout le monde). A l'étage, il y a une terrasse qui est aussi utilisée pour les cours. Un arbre, poussant dans le temple, fournit de l'ombre mais ses branches sont à peine à 1m ou 1,5m au-dessus du sol aussi faut-il que j'avance courbé. L'endroit est agréable car abrité du soleil donc en plein air et avec une légère aération. Là-aussi 4 classes peuvent s'y tenir au minimum.
Du fait de cet espace "réduit" et du grand nombre d'élèves inscrits (300 en tout pour les deux sexes), les cours s'organisent par demi-journée : le matin pour les garçons, l'après-midi pour les filles. Le samedi est une exception car les deux sexes sont mélangés. Il s'agit bien de cours de soutien venant en complément de l'école gouvernementale où ces enfants vont aussi. Mais là encore, les locaux ne sont pas suffisants : chaque demi-journée est ainsi également découpée en deux. Sur une journée, il y a donc 4 rotations d'élèves. Une rotation dure en moyenne 1h à 1h15.
A Okhla, les enseignants sont au nombre de 9 : Pushpa dirige l'école et s'assure que tout se passe bien, elle ne donne pas vraiment de cours, Sofia, Neetu, Seeta et Israil enseignent aux plus petits, Sonia aux plus âgés. Dipanka navigue entre cours traditionnels et informatiques. Vijay est prof d'informatique tout comme Mithu.
Presque tous se débrouillent suffisamment en anglais pour que l'on puisse avoir des échanges mais je me suis plus attaché à 4 d'entre eux : la triplette d'amies Neetu-Seeta-Sonia qui étaient vraiment toujours aux petits-soins pour moi, se préoccupant sans cesse de mon ressenti, s'inquiétant pour mes proches ou pour des broutilles, m'impliquant dans tout et puis Mithu, appelé "grand-frère" par tous (baya), qui est lourdement handicapé mais qui a une joie de vivre incroyable et avec qui j'ai partagé de beaux moments à profiter uniquement du temps qui passe.
Ces professeurs font aussi des projets grâce à l'ONG : ils vont ouvrir les cours d'informatique à des personnes extérieures afin de les former à ce secteur porteur et qui peut ouvrir des portes que les castes maintiennent verrouillées. Project WHY c'est donc du cœur, de l'instruction, de l'attention aux démunis mais c'est aussi une dynamique, un avenir.
Pour en revenir à la matinée, les cours débutent donc vers 9h30. Les élèves se groupent par classe, le plus souvent autour de leur professeur habituel mais parfois seuls. Chacun dispose d'un cahier, d'un stylo et d'un livre. Ce dernier est souvent en hindi mais j'ai toujours eu sous la main des livres en anglais également, parfois récupérés dans la bibliothèque du rez-de-chaussée. Pour les cours théoriques, le but est souvent de comprendre un exercice et sa résolution; pour les cours pratiques, c'est davantage de reproduire et de montrer que les notions sont assimilées.
Le premier jour, j'ai donné un cours de maths mais cela s'est avéré trop compliqué pour moi alors que les élèves étaient du primaire ! Les problèmes passent encore mais certaines équations ou les divisions étaient plus corsées. Si je prends les divisions par exemple, la difficulté venait de plusieurs niveaux. Le 1er c'est que le calcul est fait de tête ou en le posant mais il n'y a évidemment pas de calculette ou de portable pour diviser 7189 par 123. La seconde épreuve qui en découle a été de me souvenir de la façon dont on posait les divisions quand j'étais en primaire (vous savez comme ça : "|--" avec en haut à gauche le 7189, en haut à droite le 123, sous la barre à droite le résultat du calcul et en bas à gauche le reste s'il y en a un). Je suis assez fier de dire que j'y suis parvenu du premier coup. Le dernier problème c'est que les indiens présentent la même opération sous la forme suivante : " )--( ", méthode que je n'ai pas comprise. Du coup comment donner des explications dans ce cas-là ?
Les maths n'étant pas pour moi, j'ai enchainé avec la biologie le lendemain. Là c'était plus simple, il fallait définir ce qu'était un carnivore, un herbivore et un omnivore et associer des animaux à chaque terme. En plus, le livre me donnait les termes en anglais en cas d'hésitation. Comme on ne fait pas de SVT tous les jours, j'ai terminé la première semaine par des cours d'anglais. Je suis loin d'être bilingue dans cette langue mais il s'agissait de basiques : aider à la lecture de petits articles et à la prononciation des mots, lire l'heure, résumer un texte car les enfants déchiffrent l'anglais sans vraiment le comprendre (nous y reviendrons), rédiger un courrier un peu formel, ...
Enfin en seconde semaine, je me suis chargé de l'informatique de base. Je pense être plutôt doué sous Office. Ne connaissant pas d'avance ce que j'enseignerai, j'avais traduit en France tous les menus et fonctions de la suite Office et j'avais préparé des trames de cours pratiques. Sauf que le niveau était inférieur à ce que je pensais. En réalité, je me suis limité aux bases sous Wordpad, Word, Paint et deux heures d'Excel pour débutant. Comme je l'ai dit plus haut, les élèves sont très demandeurs d'informatique mais pour le moment, ils doivent maitriser parfaitement le clavier c'est-à-dire saisir sans faute et sans le regarder. Ensuite, ils peuvent commencer à apprendre à ouvrir un traitement de texte, enregistrer et fermer un fichier, saisir du texte, copier, coller, mettre en forme ... L'acquisition de ces notions a été mon principal domaine d'intervention en soutien à Vijay et Mithu. Pour le plus aisé des élèves, j'ai aussi vu comment réaliser un CV. Et puis il y avait les cours de Paint : les plus grands devaient reproduire des publicités complexes d'un journal, les plus jeunes dessinaient selon leur inspiration. Certains le faisaient vraiment très bien.
C'est dans cette matière que j'ai été le plus efficace je pense mais la façon d'enseigner m'a un peu surprise : les garçons semblent plus avancés que les filles et étaient au début plus encadrés par les professeurs présents. J'ai tenté d'enseigner à certaines filles mais je me suis heurté à une reprise, pour la seule fois de mon séjour, au même problème que l'année dernière lors de mon immersion au Rajasthan : un malaise et un rejet parce que je suis un inconnu de sexe masculin. Je trouve cette norme tacite dommageable car, dans ce cas, c'est ne pas profiter d'une opportunité d'apprendre. J'ai donc laissé la jeune fille concernée à sa saisie et elle n'a pu apprendre à utiliser Word de tout mon séjour. Heureusement pour elle, elle semblait accepter davantage l'enseignement de Mithu le dernier jour de ma présence. J'espère qu'elle parviendra à dépasser ce frein pour pouvoir progresser.
A 10h30, la première session se termine pour beaucoup à contrecœur et une nouvelle est sur le point de démarrer. Il y a des fois où il faut vraiment insister pour que certains garçons laissent leur place ! A l'occasion de ce va-et-vient, il m'est arrivé de recevoir un thé, une autre boisson ou un petit encas de la part de mes collègues, juste au cas où je pourrais avoir un petit creux.
La seconde session passe tout aussi vite que la première et on se retrouve rapidement avec une école quasi-vide puisque seuls restent les adultes.
Tags : Project WHY, enfants, école, Okhla, ordinateur, élèves, enseignant, professeur, informatique, volontaires, maths, biologie, anglais
-
Commentaires