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La pause de milieu de journée
La pause du midi est assez longue lorsque les horaires sont respectés : de 11h30 à 13h30 ou 14h. Les premiers jours, Dipanka en profitait pour me donner des leçons d'échecs partie après partie. Mais il peut se passer bien d'autres choses : session de danse improvisée, partage de photos et discussions notamment. Ces dernières m'ont permis de mieux connaître chacun de mes collègues et d'entendre parler aussi de précédents volontaires donc un certain Jean qui a beaucoup marqué à Okhla.
Une fois par semaine un cours d'anglais pour les professeurs (en plus des enfants) est donné par une expatriée allemande : le premier mercredi ce fut Karla, le second lundi, Eva. Le but poursuivi est pour tous de renforcer les bases mais il s'agit également d'enseigner aux adultes de nouvelles méthodes pédagogiques à reproduire auprès des enfants de l'école. Nous nous retrouvons ainsi tous ensemble à jouer des petits jeux de rôle basiques mais rigolos. J'ai bien aimé cet instant de partage même si sur le caractère adapté de ces méthodes je suis plus réservé mais j'y reviendrai lorsque je parlerai de l'après-midi.
Une autre initiative de Karla est de faire visiter le bidonville notamment par quelques enfants d'Okhla. J'ai assisté à une de ses promenades mais les trouve personnellement intrusives et malsaines car on s'immisce chez les gens pour photographier la misère et des scènes de la vie privée. Je n'ai donc pas pu rentrer dans une seule "habitation" pour cette seule raison. De la circulation dans ces ruelles étroites, je retiens simplement un enchevêtrement d'habitats tellement sommaires, très bas de plafond, devant être sombres et dépourvus de tout. Bien que n'en ayant jamais vu, on dirait un camp provisoire de réfugiés. Ou alors la Cour des Miracles ? A un moment de la visite, nous avons dû faire demi-tour car les enfants trouvaient la zone trop malfamée.
Pour le repas, il y a plusieurs scénarii :
- la famille de Rani a préparé le plat : il s'agit de deux énormes Tupperware dont l'un contient du riz et le second de la sauce parfois relevée.
- les professeurs ont amené de quoi manger et tous me donnent quelque chose au point que c'en est gênant car j'ai l'impression de leur piquer leur nourriture. Mais si je ne le fais pas je les vexe. 1er dilemme.
- nous allons acheter de la nourriture dans les échoppes du quartier. Bon à nouveau les rigoristes de l'hygiène seraient sous le choc mais je n'ai pas été malade sur place du fait de l'alimentation ni après contrairement à tous les autres volontaires qui prenaient moins de risques et ont pourtant passé des journées alitées. A titre d'information, un plat complet avec chappattis c'est 20 roupies soit moins de 35 cents d'euro !
Pour moi, ce moment est la seule source de "malaise" de mon séjour et ce qui m'a le plus profondément et durablement marqué. Si la première option s'applique, ce qu'il reste éventuellement est pour les enfants. Voici mon 2nd dilemme et le plus gros : dois-je manger à ma faim et priver les enfants ou me restreindre et leur laisser à manger ? Ma conscience m'a dicté un choix mais il n'y a pas de bonne réponse à cette question. Project WHY ne peut de toute évidence nourrir les enfants le midi en dehors de Yamuna dont on a déjà parlé car ceci n'est pas dans sa vocation et qu'en outre, elle n'en a pas les moyens même si elle le souhaitait (l'organisation est en permanence contrainte de trouver des fonds pour survivre, en ce moment-même aussi). De même, il n'est pas sûr que les enfants aient l'habitude de manger le midi tout simplement parce que leur famille n'en a pas les moyens non plus. Mais si c'était leur seul repas de la journée ? Pourquoi ont-ils une gamelle vide dans leur sac ? Comment apprendre quand on a le ventre creux ? Pourquoi ne pas leur laisser alors que je peux m'acheter à manger en rentrant de l'école ? Ce n'est qu'un échantillon de tout ce qui peut vous traverser la tête dans ces circonstances. Et je suis sûr que la plupart des profs aussi avaient affaire au même cas de conscience. Le plus dur c'est le lendemain du jour où vous avez distribué, lorsqu'il n'y a rien de prévu et que le repas est à acheter. Qu'est-ce que ressentent les enfants en arrivant et en découvrant qu'il n'y a rien ?
En dehors de cette réflexion intense, le déjeuner reste un moment très convivial que l'on partage tous ensemble. Le personnel est très complice et les plaisanteries fusent. Une partie de la conversation est bien sûr en hindi car c'est plus simple pour eux de s'exprimer dans leur langue maternelle. Toutefois, ils font systématiquement des efforts pour m'impliquer d'une façon ou d'une autre. Je sais que ma réaction aux épices peut les amuser donc j'avoue jouer parfois la comédie pour les faire rire. Sitôt le repas terminé, on se lève et va faire sa vaisselle, peu importe que les autres aient fini ou pas. Rester à table signifierait que l'on attend encore quelque chose.
Une première fois, pour l'anniversaire du fils de Pushpa, on a eu un extra en fin de repas. Les profs appellent ça "to give a party". Il y a ensuite eu l'anniversaire de la fille de la fondatrice de l'organisation où chacun dans tous les centres a eu son petit paquet. J'ai donc aussi souhaité organiser ma propre "party" à l'occasion de mon départ, en guise de remerciements.
Après le repas, s'il reste un peu de temps, ça peut être sieste ou toujours discussion. C'est dans ces instants de calme que j'apprends à mieux connaître mes collègues. J'ai ainsi eu envie de partager un moment plus privilégié avec eux pour que l'on ait un souvenir commun en dehors de l'école. La solution qui s'est alors imposée à moi était une virée à l'extérieur. Ce qui est curieux, c'est qu'en tant que volontaire français, nous semblons suivre sans le savoir un itinéraire parallèle car le lendemain, mon dernier jour sur place, j'apprendrai que mon prédécesseur, Jean, avait aussi eu le même élan et la même inspiration.
Vers 13h30, commencent à arriver les premières filles : "May I come in Madam' ?" ou "May I come in Sir ?". Les jours où il reste à manger, les plus petits sortent une gamelle et une cuillère et se rassemblent pour la distribution. Ainsi aucune nourriture n'est gaspillée. Dans ces conditions, c'est encore plus essentiel que d'habitude.
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